top of page

Un vieil homme aux yeux clairs.

Stéphane Delpeyrat-Vincent

 

C’était un vieil homme au regard bleu clair. La douceur de son regard n’était en rien trompeuse. Je n’ai pas, encore, retrouvé depuis un homme d’une telle bonté. Il n’était jamais d’humeur belliqueuse ou ronchonne. Mobilisé en 1940, comme tout ceux de sa génération, il n’en tirait nulle gloire, n’en exprimait nul ressentiment. Il avait trouvé une blague pour en parler quand on l’interrogeait à ce sujet. “J’ai été gravement blessé au front” disait-il à ses interlocuteurs soudainement admiratifs et interrogatifs. “Oui il faisait froid, j’ai glissé sur du verglas et je me suis cogné la tête” et il riait avec malice en voyant celle de ses interlocuteurs soudain embarrassés. Quand j’étais petit il m’accompagnait partout. Dans le train, lors des vacances scolaires, car mes parents séparés habitaient fort loin l’un de l’autre. Il préparait toujours un grand sac, comme ceux qu’on utilise pour aller au marché, plein de merveilles. Des BD pour moi, des mots croisés pour lui et bien entendu, comme tout homme du Sud Ouest qui se respecte, un couteau et toutes sortes de victuailles. Il aimait me faire partager sa science des paysages et de la géographie. Au trajet fait ensemble il ajoutait le voyage des mots et des noms. Il faisait chanter d’obscures rivières dont il aimait décliner tous les affluents, s’amusait à nommer la population des villes et villages traversés et aimait me taquiner sur les numéros des départements. Tout ceci il l’avait appris pour passer le concours de la SNCF ce qui lui permit d’être chef de gare à Sarlat. “La vie du rail ”, célèbre journal des cheminots, n’était jamais bien loin. Il m’impressionnait ainsi, quand le contrôleur se présentait, en sortant fièrement sa carte SNCF ce qui engendrait tout de suite échanges complices avec ce dernier et discussion sur la boîte. Alors tu es où toi ? Depuis longtemps ? Tu fais cette ligne souvent.... Tout le wagon nous regardait et moi aussi j’étais fier. A sa retraite il devint chauffeur de taxi. Il roulait dans un grand break Peugeot qu’il emplissait de touristes l’été et de personnes âgées le reste du temps. Il ne se lassait pas de raconter qu’un jour il avait conduit Brigitte Bardot lui, l’homme du peuple, qui avait aussi bien connu Joséphine Baker dont il était voisin aux Milandes.

Avant de prendre le volant il crachait dans ses mains comme si, ainsi, il signifiait à tous que la conduite était devenue son métier. Quand il me faisait faire un tour il s’employait à me faire rire en me faisant prendre le volant ou en coupant le moteur dans les descentes pour “économiser du gasoil”. Et j’aimais ça bien sûr. De temps à autre il m’amenait à la pêche le long de la Dordogne, en face du château de Beynac. Il était d’une patience de Sioux et moi, qui ne l’était guère, je finissais par me laisser bercer par son calme et le bruit de la rivière. Il s’inquiétait toujours de mes résultats à l’école car, pour lui, rien n’était plus important. Il savait que c’était une assurance contre la pauvreté, plus tard. Il m’accompagnait au rugby aussi et je sentais son regard bienveillant me suivre depuis la balustrade.

Voilà c’était Paul mon Grand Père qui n’est plus là depuis longtemps et qui souvent me manque. Ce livre sur les trains du quotidien je l’ai fait aussi pour lui, pour tous ces cheminots attachés à leur travail, à leur entreprise, à ces usagers qui ne sont jamais pour eux des otages et qu’on nomme désormais “clients”. Ces hommes et ces femmes trop souvent décriés, montrés du doigt comme des privilégiés par certains qui vivent de rentes diverses depuis leur plus jeune âge. Il savait ce qu’était le dévouement, l’attention aux autres, la satisfaction du travail bien fait. Il connaissait tous les horaires, toutes les Gares et sous-préfectures, toutes les correspondances.... Il savait se montrer bienveillant avec celui qui n’avait pas pris son billet et secourable pour les petits et grands chagrins. Pour lui il ne s’agissait finalement ni d’usagers, ni de clients, ni de collègues mais de sa grande famille. Il aimait son métier et moi je l’aimais. Dans ces photos en gare, en train il est question de temps suspendu, de la vie, de cœurs qui battent à l’unisson...J’ai cherché à le retrouver sur ces quais, dans ces wagons. Au moins son âme, celles des gens de peu, ceux qu’on veut mettre à genoux à Paris avec morgue et au nom de l’argent. Ces voyages partagés avec lui furent parmi les plus importants moments de mon existence. Un concentré d’amour filial dans quelques heures, qui le temps d’un parcours, n’appartenait plus qu’à nous. A mon Grand Père Paul, a ses héros du quotidien, ses passagers qui jour après jour, train après train montrent qu’ils veulent rester des hommes et des femmes debout et solidaires.

Trains de vie

24,00€Prix
Taxe Incluse |
  • Stephane Delpeyrat-Vincent

bottom of page